Louis Debierre

Facteur d'orgues
Louis
François Debierre naquit à Nantes le 18 juillet 1842,
24 rue Voltaire où son père était établi
comme menuisier-ébéniste. Il fût l'élève
des Frères, rue de la Rosière jusqu'à 12 ans,
âge auquel il fût embauché chez son père
comme apprenti, puis ouvrier. Il y resta cinq ans, tout en suivant
simultanément avec son travail journalier, les cours de l'Ecole
Industrielle. En plus de son travail professionnel et étudiant,
il fréquente le Patronage de Toutes Joies (fondé en
1845), section gymnastique.
A 17 ans, Louis Debierre, muni de bonnes recommandations auprès
de M.Meignen (directeur du Cercle Montparnasse), quitte Nantes pour
Paris où il arrive le 12 août 1859. Grâce aux
relations de M. Meignen, il trouve du travail le 17 août 1859
chez M. Thébault, facteur d'orgues, 146 rue Vaugirard. Il
y reste 20 mois où il travaille entre autres aux orgues de
La Chatre, et Cognac, église Saint Léger. Après
un petit stage chez un fabricant de piano, il est embauché
à la manufacture d'Harmoniums Debain 24 place Lafayette à
Paris.
Six mois plus tard, son père fatigué lui demande de
rentrer à Nantes. Ce qu'il fait en avril 1862. Quelques temps
plus tard, il est appelé pour le service militaire, à
l'époque la conscription militaire se faisant par tirage
au sort, il tire un bon numéro et est exempté.
Ce qu'il a appris à Paris dans un autre domaine que la menuiserie,
lui laisse entrevoir un autre travail mais sans plus. Il entreprend
ses activités sportives au Patronage Toutes Joies dont il
est toujours resté en relations. Une chapelle est neuve,
sans instrument, et le Père Peigne, missionnaire diocésain
et aumonier à Toutes Joies, lui demande s'il peut faire un
orgue.
Il hésite : peu de moyens, pas de capitaux propres. C'est
oui. Il fait ses plans, s'installe rue Urvoy de St Bedan. Son père
lui prête un ouvrier et avec la collaboration du facteur d'orgues
Goyadin (ils se sont connus chez le facteur parisien Thébault),
l'orgue de Toutes Joies est livré le 29 décembre 1863
: 2 claviers, 18 jeux.
La commission de réception, présidé par G.
Schmidt, organiste du Grand Orgue de Saint Sulpice à Paris,
le réceptionne avec succès.
Ce fut le départ de la carrière de Louis Debierre.
Le 10 décembre 1868, à la chapelle de Toutes Joies,
il épouse Marie-Anne Dupas. Ils auront 8 enfants.
Fabrications, restaurations, les commandes
viennent : il s'installe alors Chaussée de la Madeleine à
Nantes.
Après la guerre de 1870, les ateliers Chaussée de
la Madeleine étant trop petits, il envisage d'acheter des
terrains sur la paroisse de St Clément, toujours à
Nantes, à quelques centaines de mètres de la Cathédrale.
Il faut pour cela des fonds. Debierre trouve un commanditaire, M.
Maxence (père du peintre). M. Fraboulet, architecte, construit
la Manufacture qui existait encore en 1993, en bien piteux état,
hélas.
Construite pour montrer dans une grande salle les instruments et
les auditionner, la manufacture était fonctionnelle : tous
les ateliers étaient répartis sur 2 étages
et l'accès de ceux-ci donnait dans la grande salle. Des palans
à moufles et cordes, et plus tard un pont roulant, permettaient
les diverses manutentions.
L'orgue du Temple Protestant à Nantes inaugura ces locaux
en 1875.
En 1871, Chaussée de la Madeleine à Nantes, c'est
aussi le début des orgues portatifs. Un prototype de 4 jeux
1/2 avec tous les tuyaux en bois, est fabriqué et vendu le
22 novembre 1871. D'autres suivent, moins importants, 2 jeux 1/2,
3 jeux, 3 jeux 1/2. Un brevet est déposé le 22 novembre
1872 (n°97094).
En 1882, le 18 août, il dépose le brevet n°150638,
pour l'intervention des tuyaux d'orgues à notes multiples
"faire produire alternativement plusieurs notes de la gamme
et obtenir ainsi les mêmes effets de sonorité qu'avec
le système d'un tuyau par note". Il put ainsi fabriquer
des "orgues portatifs à tuyaux polyphones" plus
importants : 4 jeux, 5 jeux, 6 jeux, qui furent expédiés
dans le monde entier : Amérique, Asie, Afrique.
Tout en fabriquant les orgues portatifs et les orgues à transmissions
mécaniques, Debierre s'intéresse à des systèmes
remplaçant la transmissions électrique. En 1888, le
1er octobre, il dépose le brevet n°193217 concernant
"le remplacement de tous les organes mécaniques par
des tubes ou des fils conducteurs de l'air comprimé ou de
l'électricité". Le premier insctrument qui utilisa
ce mode de transmissions électriques fût l'orgue du
Théâtre Graslin à Nantes _ 8 jeux _ sous l'administration
de M. Paravey ; bientôt suivi en 1891 de celui de Notre Dame
de Bon Port à Nantes _ 34 jeux _ qui fût son chef d'oeuvre.
Sur les 8 enfants de Monsieur et Madame Debierre, 2 meurent en bas
âge ; des 6 autres : 4 filles et 2 fils, deux filles deviennent
religieuses, une épouse Monsieur Pierre Beuchet, menuisier,
la dernière reste célibataire. Je l'ai vue en 1970,
traversant la cour de la Manufacture. A cette époque nous
restaurions le buffet d'orgue de l'église Saint Melaine de
Morlaix, et pour le laver nous l'avions sorti. Mademoiselle Debierre
s'approchant, tapa avec sa canne sur la boiserie nous dit : "Jeune
homme, ce travail ne doit pas se faire dehors, si mon père
était là...".
Le fils aîné, Joseph, s'initie à la facture
d'orgues, musicien de surcoît, il a un bel avenir. Malheureusement,
il meurt au régiment en 1896. Le deuxième fils, Paul,
se fait religieux Trappiste en 1897 à 18 ans. Exilé
en Angleterre, lors des lois de séparation, il revient en
France en 1914 pour la mobilisation et se fait tuer le 15 juin 1915
à Quennevières.
Le travail est là malgré tout, les commandes arrivent,
il faut faire face. En 1898, le 1er octobre, est mise sur pieds
à l'intérieur de la Manufacture une Société
dite des Facteurs d'orgues.
Louis Debierre se retrouve seul, en 1903-1905, les lois de séparation
font ralentir les commandes. Il a tout de même 63 ans, 40
ans de patronat. Arrive la guerre de 1914, sa femme décède
en décembre 1914, il recherche moins les commandes, il prend
celles qui se présentent. L'effectif ouvriers est réduit
aux seuls chefs d'ateliers et quelques apprentis.
Il cherche un successeur. Il envisage, s'il n'en trouve pas, de
liquider son affaire. Les stocks de bois situés dans le hangar
à bois de 3 étages, derrière la menuiserie
et faisant face à la grande salle, étaient relativement
importants : 110 m3 environ. Tous ces bois ayant entre 8 et 20 ans
d'âge. Stock important pour une manufacture d'orgues, mais
il ne faut pas oublier qu'à l'époque le séchage
du bois était naturel.
Il n'y aura pas de liquidation. En 1919, à 77 ans dont 57
ans de patronat, il cède la manufacture à Monsieur
Gloton, apprenti facteur d'orgues chez Ghys à Dijon. Ils
s'étaient connus au Cercle Montparnasse à Paris, quand
M. Gloton était venu lui aussi travailler à Paris.
Ils étaient restés en bonnes relations.
Monsieur Louis Debierre, Président Général
de l'Association Toutes Joies, mourut d'une insolation le 7 juin
1920, il avait 78 ans. Il nous a légué près de 600 instruments tant qu'en
France qu'à l'Etranger (tous continents).